Entre les 23 et 27 mars, 916 chibanis
(« cheveux blancs » en arabe), travailleurs à la SNCF, divisés en
dix-huit groupes de plaignants sont passés devant la cour des
prud’hommes de Paris pour la discrimination salariale dont ils ont été
victimes.
Au début des années 1970, la SNCF peinait à recruter pour
ses métiers les plus ingrats et les plus pénibles. Elle alla donc
chercher de l’autre côté de la Méditerranée la main-d’œuvre bon marché
qui lui faisait défaut. Près de 2 000 Marocains, mais également des
Algériens et des Tunisiens quitteront le continent africain pour les
triages ferroviaires français. Durant toute leur carrière, ils se
verront cantonnés aux métiers les moins rémunérés et les plus dangereux
(agents de manœuvre, enrayeurs, caleurs, chaîneurs…). N’étant pas
Français, ils se verront refuser l’embauche au statut et signeront des
contrats de droit privé – appelés PS 25 à la SNCF – tandis qu’ils se
verront rattachés à la convention de la métallurgie au lieu de celle des
chemins de fer. Leur contrat stipulait pourtant que « le travailleur
doit recevoir travail égal, une rémunération égale à celle de l’ouvrier
français de même catégorie…
L’égalité s’étend également aux indemnités
s’ajoutant au salaire ». Les travailleurs étrangers ne peuvent évoluer
que sur trois grades contre huit grades pour les cheminots au statut,
l’accès aux examens leur est refusé parce qu’étrangers, et même ceux qui
ont réussi à passer les concours avec succès se sont vu refuser la
promotion qui va avec, parce que non français. La discrimination a
également portée sur la protection sociale, inférieure à celle de leurs
collègues français : les chibanis doivent travailler en moyenne sept ans
de plus que leurs collègues, pour une retraite deux fois moins
importante, ils n’ont pas accès aux médecins SNCF, et les pensions de
réversion aux veuves sont misérables, en moyenne 300 euros.
Le bras
de fer juridique a commencé en 2001. En 2005-2006, une démarche
juridique entamée par SUD-Rail avait permis à au moins deux tiers des
cheminots contractuels marocains de partir à 60 ans avec des indemnités
de départ. Entre-temps, un certain nombre de ces cheminots ont pu
acquérir la nationalité française et pour une partie d’entre eux
intégrer le cadre permanent ce qui a pour effet de multiplier les
particularités individuelles parmi les plaignants.
La direction de la
SNCF joue la montre et multiplie les recours arguant de la prescription
des faits et qu’à l’époque la loi n’interdisait pas selon elle les
traitements discriminatoires entre travailleurs français et étrangers au
sein d’une même entreprise. Or l’égalité de traitement est inscrite
dans la Constitution de 1958, et également dans les textes de
l’Organisation internationale du Travail ou encore de la Convention
européenne des droits de l’homme que la France a ratifié bien avant.
Enfin
la discrimination des travailleurs étrangers va bien au-delà de la
SNCF, elle touche depuis longtemps les anciens combattants tandis que
l’on estime à près de 850 000 les travailleurs étrangers maghrébins,
subsahariens ou chinois venus travailler à France comme à Renault ou
dans les houillères du Nord…
Enfin, le soutien syndical a été bien
rare et bien tardif. Depuis une dizaine d’années, seul SUD Rail soutient
la lutte des chibanis, un militant du syndicat explique que « les
syndicats ont longtemps pensé que défendre les contractuels était une
façon de reconnaître qu’ils existaient, alors que leur combat portait
sur la défense des travailleurs à statut. Et puis, il y avait une sorte
de compromis non écrit entre les centrales et la SNCF : il y avait
seulement 8 % de contractuels, mais en contrepartie tout le monde
s’accordait pour les laisser dans des zones de non droit ».
SUD-Rail
revendique, seul et depuis toujours, l’abolition de cette « clause de
nationalité » responsable de ces discriminations. Les autres entreprises
publiques (la Poste, EDF-GDF, la RATP, Air France, etc.) ont depuis
longtemps retiré la clause de nationalité discriminatoire, et ont
reconnu l’égalité au travail des salariés extra-européens.
La loi du
4 août sur la réforme ferroviaire prévoit l’éclatement de la SNCF et la
remise en cause des droits des cheminots. Aujourd’hui, le gouvernement
et le patronat ferroviaire pratiquent le dumping social et veulent
niveler par le bas nos conditions de travail. Ainsi, les 155 000
cheminots du public devraient s’aligner sur les 3 000 du privé. Diviser
pour mieux dominer et exploiter, c’est toujours la même stratégie des
puissants.
À même travail, même salaire et mêmes droits, que l’on
soit cheminot de la SNCF ou du privé, que l’on soit Français ou
étranger. La prochaine grande lutte des travailleurs du rail, c’est le
statut unique et les conditions de travail uniques sur les bases
minimales du statut de la SNCF et du RH 0077. Ce procès est un symbole,
celui de l’exploitation systématique des travailleurs immigrés dans la
France d’après-guerre et des Trente Glorieuses. C’est aussi
malheureusement celui du racisme que l’on trouve partout, y compris dans
les organisations syndicales qui préfèrent encore aujourd’hui trop
souvent ignorer voir mépriser cette classe des travailleurs.
Dans nos
syndicats, les militants anarchistes ont la responsabilité de
contribuer à élever la conscience politique et syndicale des
travailleurs pour combattre TOUS les racismes et toutes les tentatives
de division et d’opposition des travailleurs entre eux. L’union de TOUS
les travailleurs dans l’action directe et les luttes autonomes et
autogérées constitue la force révolutionnaire capable de faire basculer
le vieux monde, d’abolir le salariat et d’abattre les frontières pour
construire le communisme libertaire.
Chaque chibani réclame en
moyenne 400 000 euros de dommages et intérêts. La décision pour les 213
premiers dossiers sera rendue le 21 septembre.
Julien - groupe Emma Goldman
Publié dans le Monde libertaire # 1770 du 2 avril 2015
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